Un Monde sans armes à feu
On vous aura prévenus : c'est pas beau à voir


By Dave Kopel, Paul Gallant, et Joanne Eisen du Independence Institute

5 décembre 2001, 9:40


Traduit par Joel SAGNES,
le 7 décembre 2003, 20:30

 

maginez le monde sans armes à feu" pouvait-on lire sur un auto-collant pour voitures qui a commencé à circuler après le meurtre de l'ex-Beatle John Lennon, le 18 décembre 1980. L'année dernière, sa veuve, Yoko Ono, a continué dans cette voie en annonçant qu'elle allait devenir porte-parole pour Handgun Control, Inc. (qui a, par la suite, troqué son nom pour la Brady Campaign to Prevent Gun Violence, après s'être appelée le National Council to Control Handguns).

Faisons donc un gros effort pour imaginer à quoi ressemblerait un tel monde. Ce n'est pas difficile. Mais on vous aura prévenus : c'est pas beau à voir.

Pour avoir un monde sans armes, nous disent les groupements prohibitionnistes, il faut voter des lois qui les interdisent. Nous pouvons commencer par imaginer l'adoption de lois prohibant la possession d'armes à feu par tout autre que l'État.

Il est peu probable que des textes locaux suffisent. Prenez, par exemple, la loi Sullivan de 1911 de New-York, qui imposait dans cette ville un système d'enregistrement des armes de poing excessivement restrictif. Dans les dernières décennies, les abus de l'administration on fait devenir le statut d'enregistrement une prohibition, sauf pour ceux, qui à force d'opiniâtreté, ont réussi à se frayer un chemin à travers un système délibérément obstructionniste.

Les lois affectent principalement ceux qui acceptent de s'y soumettre. Et là où il y a un besoin non satisfait — et de l'argent à gagner — il y a généralement un moyen de contourner la loi. Bienvenue sur le marché noir, toujours plus florissant grâce à des restrictions et autres prohibitions en constante augmentation. Dans des spots de publicité diffusés à la télévision en août dernier, Mike Bloomberg, le candidat républicain (enfin, si on veut) à la mairie de New-York a informé les électeurs qu'"en 1993, il y avait jusqu'à 2 millions d'armes illégales dans la rue." Il insinuait que toutes ces armes étaient dans les mains de criminels et que par conséquent leur confiscation rendrait la ville plus sûre. Ce que n'a jamais expliqué Bloomberg, c'est comment il comptait arrêter le marché noir.

Imaginons donc plutôt une interdiction des armes à feu à l'échelon national, voire mondial.

Remarquez, l'héroïne et la cocaïne sont illégales aux États-Unis, et dans la plupart des autres pays, depuis presque un siècle. Des moyens phénoménaux sont déployés afin d'en éradiquer la production, la vente et l'usage, et de nombreux innocents ont été sacrifiés dans les feux croisés de la "guerre de la drogue." Malgré cela, l'héroïne et la cocaïne sont toujours facilement disponibles dans les rues de quasiment toutes les grandes villes américaines et à des prix inférieurs aujourd'hui à ceux des décennies passées.

Il se peut qu'une loi de prohibition globale ne soit pas suffisante. Peut-être que l'imposition de la peine la plus sévère possible en réponse à une violation d'une telle loi lui donne un vrai pouvoir : réclusion à perpétuité pour la possession d'une arme ou même d'une simple balle. (Nous n'envisagerons pas la peine de mort vu que la bande de Yoko ne l'apprécie pas.)

En y repensant, la loi jamaïcaine sur les armes de 1974 qui prévoyait justement une telle sanction n'a même pas suffi. Le 18 août 2001, le Jamaïcain Melville Cooke observait qu'aujourd'hui, "les seuls [dans ce pays] à ne pas posséder d'armes illégales sont ceux qui n'en veulent pas." La criminalité violente en Jamaïque a atteint un niveau plus élevé que jamais, gangsters et policiers au coup de feu facile commettant impunément des homicides, seuls les gens qui respectent la loi sont désarmés.

Et pourtant, le gouvernement jamaïcain cherche à globaliser sa politique défaillante. En juillet 2001, le ministre jamaïcain de l'Éducation, de la Jeunesse et de la Culture, Burchell Whiteman, a demandé lors de la Conférence sur le Désarmement de l'O.N.U. la "mise en place de mesures visant à limiter la production d'armes à des niveaux compatibles avec les besoins propres à la défense et à la sécurité de l'État."

Et aussi longtemps que les États seront autorisés à avoir des armes, il y aura des usines d'armement où les voleurs pourront se servir. Quelques-unes d'entre-elles pourraient être protégées contre le vol, notamment de ses propres employés, par des mesures de sécurité appropriées. Mais dans un monde comptant à peu près 200 nations, la plupart sous l'empire de kleptocraties, il est grotesque d'imaginer que certaines de ces usines "d'État" ne fourniront pas le marché noir, que des militaires et des policiers corrompus pourraient également alimenter.

Nous devrions revoir notre stratégie. Plutôt que de souhaiter des lois (qui ne peuvent pas, même en rêve, aboutir à un monde sans armes), soyons plus ambitieux et imaginons la disparition de toutes les armes. Même celles en possession des agents de l'État. Fermons aussi toutes les usines d'armement. Ceci devrait faire fermer le marché noir.

Abracadabra ! Voici la paix !

Retour à la case départ
Et pourtant... ce n'est pas très difficile de fabriquer une arme à feu fonctionnelle. Comme le fait remarquer J. David Truby dans son livre Zips, Pipes, and Pens: Arsenal of Improvised Weapons, " De nos jours, tous les mécanismes [d'armes à feu] improvisés et/ou modifiés sont à la portée de n'importe qui pas spécialement doué pour la mécanique n'ayant pas accès aux armes par d'autres moyens."

Dans son article "Fabriquer des armes : une industrie familiale," Charles Chandler a observé que les Américains "ont la réputation de hobbyistes passionnés et de bricoleurs construisant tout et n'importe quoi, depuis des maquettes de bateaux jusqu'à des aménagements de la maison." Le seul domaine dans lequel ils ne sont pas très actifs est celui de la fabrication d'armes à feu. Et d'après Chandler, c'est uniquement parce que "des armes bien conçues et bien faites sont couramment disponibles dans le commerce."

Une interdiction complète des armes, ou un système d'enregistrement tellement restrictif qu'il en reviendrait au même, conduirait réellement la fabrication d'armes à devenir une "industrie familiale".

C'est déjà ce qui se passe en Grande Bretagne, une conséquence de l'interdiction totale faite aux civils de posséder des armes de poing, imposée par le Firearms Act de 1997. Aujourd'hui, les Britanniques sont non seulement inondés d'armes importées illégalement, mais des fabriques d'armes de fortune ont poussé comme des champignons pour faire concurrence.

La police britannique en connaît déjà quelques-unes. Les officiers du Scotland Yard's Metropolitan Police Serious Crime Group South ont récemment récupéré 12 répliques d'armes de poing qui avaient été converties en armes fonctionnelles. Un atelier de mécanique auto londonien servait de façade à l'originale manufacture d'armes illégales. La police a même découvert de ces armuriers plein d'initiative ayant transformé des tournevis en armes à feu ou en ayant produit sous l'apparence de banals porte-clés.

Bref, fermer l'usine Winchester Repeating Arms — ainsi que toutes les autres — ne signera pas l'arrêt de mort du commerce des armes à feu.

Considérez simplement le cas de Bougainville, la plus grande des îles Salomon, dans le Pacifique Sud. Pendant 10 ans, Bougainville a été le théâtre d'un soulèvement sécessionniste sanglant contre la domination de l'État de Papouasie Nouvelle Guinée, aidé et soutenu par l'Australie. Ce conflit a été le plus long affrontement que le Pacifique ait connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale et a causé la mort de 15 à 20.000 insulaires.

Pendant les hostilités, où l'île a subi un blocus militaire, l'un des objectifs consistait à priver la Bougainville Revolutionary Army (BRA) de sa source d'approvisionnement en armes. La tactique a échoué : le BRA a tout simplement appris à fabriquer ses propres armes à partir de matériel et de munitions abandonnés lors de la guerre.

En fait, à la Conférence des Nations Unies sur le Désarmement de la Zone Asiatique du Pacifique, qui s'est tenue au printemps 2001, on a très tranquillement admis que la BRA, dans les dix ans qui ont suivi sa création, était parvenue à lancer la production d'une copie du fusil automatique M16 ainsi que de diverses mitrailleuses. (Ce qui amène à se poser des questions quant aux intentions réelles derrière la Conférence de l'O.N.U. sur le Commerce Illicite des Armes Légères et de Petit Calibre dans tous ses Aspects, qui a suivi plusieurs mois après : les dirigeants de l'O.N.U. ne peuvent pas être cinglés au point de ne pas reconnaître les implications sur le désarmement mondial du succès de la Bougainville Revolutionary Army.)

Si cette île de Bougainville toute simple arrive à fabriquer ses propres armes, depuis longtemps, les Îles des Philippines ont une industrie familiale florissante pour ce qui est de fabriquer des armes — malgré des lois très strictes imposées par la dictature Marcos et quelques autres régimes.

On dirait qu'il va nous falloir revoir notre petit délire une fois de plus.

Bon. Par décision de Kopel, Gallant, et Eisen, non seulement toutes les armes à feu — jusqu'à la dernière — disparaissent instantanément, mais qu'il n'y aura aucune refabrication.

Cette dernière partie est un peu délicate. Les ateliers de mécanique auto, les hobbyistes, les révolutionnaires — quiconque ayant un minimum d'aptitudes en usinage — peuvent faire une arme à partir de quelque chose. Ce qui nous ramène au cas de l'interdiction de la drogue. Avec des lois anti-drogue de base se révélant inapplicables, d'autres ont été ajoutées, prohibant la possession d'objets dont l'utilisation permet de fabriquer des stupéfiants. Même faire des achats suspects dans un magasin de jardinage peut vous valoir une visite avec "entrée dynamique" du groupe d'intervention local.

Il y a tellement d'outils qu'on peut utiliser pour faire des armes ou transformer en armes, que des lois proscrivant la possession de matériel d'armurerie devraient ratisser encore plus large que celles concernant les drogues. En fait, il faudrait contrôler soigneusement chaque étape possible dans la fabrication d'une arme. C'est à dire enregistrer toutes les machines-outils, et instituer un permis fédéral (semblable à celui des pharmaciens) pour les plombiers, les mécaniciens auto et tous ces bricoleurs équipés de tournevis. Et on devrait aussi frapper un numéro de série sur les tuyaux (des canons en puissance) présents dans chaque salle de bains et chaque voiture — et partout ailleurs où on en trouve — pour ensuite ranger tous ces numéros dans un registre fédéral.

Aujourd'hui, les lobbies anti-armes qui déclarent ne pas vouloir interdire toutes les armes persistent à prétendre que l'enregistrement de chaque arme et de chaque détenteur est essentiel pour éviter que des armes ne tombent entre de mauvaises mains. S'il en est ainsi, on peut difficilement contester que l'établissement de permis et d'enregistrement sur le matériel d'armurerie ne serait pas essentiel pour prévenir une production illicite d'armes.

Ainsi, nous devrions contrôler chaque phase du processus de fabrication. Cela s'ajouterait à une proposition déjà très coûteuse et très complexe. Même un taux de 1% de non-conformité à la "Loi de Contrôle sur les Pré-requis en Armement" laisserait un stock énorme d'équipement disponible pour la fabrication d'armes au marché noir.

Afin d'être totalement en accord avec la législation, on peut difficilement imaginer laisser en place la plupart de nos droits constitutionnels. On croit rêver quand on considère le genre de textes régissant les saisies et confiscations qu'il faudrait adopter pour s'assurer que les gens ne possèdent pas des tubes métalliques ou des tournevis non enregistrés !

Par exemple, simplement pour pouvoir appliquer une interdiction sur les armes véritables (pas uniquement ce qui permet d'en obtenir), l'État jamaïcain devait éliminer de nombreux textes encadrant les enquêtes policières et d'autres garantissant des procès équitables. Pour empêcher totalement que prenne un marché noir sur les éléments nécessaires à la création d'armes, nous devrions mettre à sac la Constitution. Enfin, comme le répète sans cesse le lobby anti-armes, si cela doit sauver ne serait-ce qu'une vie, alors cela vaudrait le coup.

Seulement, et si, malgré ces mesures extrêmes, le marché noir fonctionnait encore — comme c'est presque toujours le cas quand la demande est suffisante ?

Il est temps de revoir sérieusement notre stratégie pour un monde sans armes. Peut-être y a-t-il un raccourci pour passer outre tout ceci.

Allez. Cette fois, on va vous proposer quelque chose de vraiment radical, tous les coups sont permis. Faisons faire à la science un prodigieux bond en avant et partons là où l'homme n'est jamais allé. Certains pourront se gausser de notre idée mais elle peut réussir là où tout le reste a échoué.

Nous, Kopel, Gallant, et Eisen, imaginons par la présente que, désormais, les lois de la combustion chimique sont abolies. Nous imaginons par la présente que la poudre — et tous composés similaires — n'ont plus la capacité de brûler en dégageant les gaz nécessaires à la propulsion d'une balle.

C'est la Paix
Ça y est, pour la première fois, un monde sans armes est vraiment à portée de mains — et il est temps de se pencher sur les agissements de l'homme. Pour ce faire, il nous suffit de regarder dans quel monde vivaient nos ancêtres.

Dire que régnait la violence avant l'apparition de la poudre serait un doux euphémisme. Les voyages sur terre, en particulier sur des longues distances, étaient pleins de danger en raison des assassins, voleurs et autres criminels. La plupart des femmes étaient impuissantes face au viol à moins d'autoriser un accès sexuel illimité à un mâle en échange d'une protection contre ses autres congénères.

À cette époque, les armes reposaient sur la force musculaire que les avancées en armement ont principalement eu pour effet d'augmenter. Plus on est fort, plus on a de chances de l'emporter dans un combat rapproché avec une arme tranchante comme une épée ou un couteau, ou à distance avec un arc ou un javelot (qui demandent tous deux des bras solides). La remarquable aptitude de telles armes blanches "démodées" à provoquer des carnages chez des innocents a été tragiquement démontrée lorsque huit élèves de cours élémentaire ont été tués à coups de couteau le 8 juin 2001 par Mamoru Takuma, un ex-employé scolaire, à Osaka, ville du Japon, pays sans armes à feu.

Quant il s'agit de force musculaire, les hommes jeunes sont généralement vainqueurs en face de femmes, d'enfants et de personnes âgées. Dans l'Europe féodale qui ne connaissait pas les armes à feu, les guerriers dominaient la société et les hommes faibles devaient en général se résigner à mener une vie de labeur et de soumission en échange d'une place derrière les remparts du château lorsque le ciel s'assombrissait.

Et les femmes ? Selon la coutume du droit de cuissage, un seigneur avait le droit de coucher avec l'épouse d'un serf pour sa nuit de noces — pour le serf, un prix qu'il fallait payer — en échange d'une promesse de sécurité (cela ne vous dit rien ?). Il était courant que cet arrangement perdure au-delà de la nuit de noces, le seigneur ayant tout pouvoir de prendre n'importe quelle femme, n'importe quand. Que le droit de cuissage soit en vigueur ou non dans une région, en dehors de sa conscience, peu de choses étaient susceptibles d'empêcher un homme riche et puissant de faire ce qu'il voulait des femmes qui n'étaient pas sous la protection d'un autre.

Mais il reste un problème avec le fait d'imaginer l'éradication de la poudre : on se débarrasse des armes à feu, mais pas du moyen d'envoyer des balles. Avec l'avènement de la sarbacane il y a quelques 40.000 ans, l'homme a découvert l'efficacité d'un tube à concentrer la force de l'air et à diriger un projectile, rendant finalement l'apparition des armes à air inéluctable. Par conséquent, poudre ou pas poudre, tout ce que nous avons fait jusqu'ici se résume à ergoter quant aux moyens d'expédier quelque chose depuis un tuyau.

Les armes à air remontent aux environs du début du 17ème siècle. Et nous ne parlons pas là d'armes comme la petite Daisy Red Ryder à billes qui contient une boussole dans la crosse et qui faisait tant envie au Ralphie du classique de Jean Shepherd porté à l'écran en 1983 A Christmas Story ("Non, Ralphie, tu ne peux pas avoir une carabine à plombs — tu vas te crever un oeil !").

Non, il s'agit ici de choses pouvant réellement tuer. Le genre d'armes se passant de poudre et capables de transmettre à un projectile de 210 grammes une énergie initiale de 1.500 Joules. À comparer avec les 680 Joules d'une munition ordinaire de .357 Magnum ! On peut communiquer aux projectiles de bien plus grandes quantités d'énergie par le recours à des gaz comme l'azote ou l'hélium, qui engendrent de plus fortes pressions que l'air.

Avant l'apparition d'armes tirant des cartouches qui contenaient leur propre charge de poudre, on ne prenait pas les armes à air à la légère. En fait, il y a trois cent ans, on trouvait parmi celles-ci les carabines de gros calibre les plus puissantes et les plus précises. Bien que leurs plus gros défauts fussent leur coût et la difficulté à les fabriquer, elles étaient assez fiables et leur cadence de tir était plus élevée que celle des armes à feu contemporaines. Pour leur expédition historique, Lewis et Clark avaient emporté une arme à air de calibre .31 qui leur a permis de chasser. [cf Robert D. Beeman, "Proceeding On to the Lewis & Clark Airgun," Airgun Revue 6 (2000): 13-33.] Des armes à air ont même connu le service actif lors d'opérations militaires il y a plus de 200 ans.

Aujourd'hui, il existe des armes à air dans le style du M-16, tirant par rafales. Si la technologie des armes à air n'a jamais été développée jusqu'au point de leur permettre de tuer, c'est uniquement en raison d'un coût plus important et d'une utilisation moins aisée par rapport aux armes à feu.

D'autres systèmes d'armes ne recourant pas à la poudre se sont également disputés l'attention de l'homme. Le siècle le plus sanglant de l'histoire de l'humanité a été le 20ème. Et alors que des armes à feu ont été utilisées pour tuer (par exemple, en disposant des mitrailleuses de façon à créer des lignes de tirs croisées dans la guerre de tranchées du premier conflit mondial), elles n'ont pas joué un rôle primordial. De loin, le plus grand nombre de tueries délibérées a eu lieu pendant les génocides et les démocides perpétrés par les États contre des populations désarmées. Les instruments de mort allaient du gaz Zyklon B aux machettes en passant par la privation de nourriture.

Imaginez l'absence de griffes
Imaginer un monde sans armes à feu revient à imaginer un monde dans lequel le fort domine le faible, les femmes sont à la merci des hommes et les minorités facilement maltraitées ou décimées par le plus grand nombre. D'un point de vue pratique, une arme à feu est la seule arme qui permette à une personne faible de se défendre contre un groupe d'agresseurs plus important et plus fort, et ce, à distance. Comme l'a observé George Orwell, une arme telle qu'un fusil "donne des griffes au faible."

Le défaut d'imagination chez les gens qui aspirent à un monde sans armes provient de leur supposition naïve que se débarrasser des griffes fera disparaître le désir de dominer et de tuer. Ils n'arrivent pas à admettre le fait indéniable que lorsque les faibles seront privés de leurs griffes (armes à feu), les forts auront accès à d'autres armes, notamment leur seule force musculaire. Un monde sans armes serait bien plus dangereux pour les femmes et bien plus sûr pour les brutes et les tyrans.

La seule société dans l'histoire ayant réussi à abandonner les armes à feu est le Japon du 17ème siècle, comme l'a détaillé Noel Perrin dans son superbe ouvrage Giving Up the Gun: Japan's Reversion to the Sword 1543-1879. Étant une île isolée sous une dictature totalitaire, le Japon a pu se défaire des armes à feu. L'historien Stephen Turnbull en résume les conséquences :

Les ressources de Hidéyoshi [le dictateur] étaient telles que l'édit a été appliqué à la lettre. La mobilité sociale croissante des paysans est, du coup, repartie en sens inverse. Les ikki, les moines-guerriers, devinrent des images du passé . . Hidéyoshi avait privé les paysans de leurs armes. Iéyasu [le souverain suivant] commença alors à les priver du respect de soi. Si l'un d'eux offensait un samouraï, il pouvait se faire abattre d'un coup de sabre sur place. [The Samurai: A Military History (New York: Macmillan, 1977).]

Le statut inférieur de la paysannerie établi par le désarmement civil, le samouraï jouissait du kiri-sute gomen, permission de tuer en toute impunité. Tout membre de la classe inférieure manquant de respect pouvait être exécuté par le sabre d'un samouraï.

Les lois de désarmement japonaises ont permis de façonner la culture de soumission à l'autorité, ce qui a facilité la domination du Japon par une dictature militaire impérialiste dans les années 30, et plongé le pays dans une désastreuse guerre mondiale.

Finalement, le seul pays à avoir créé une société réellement sans armes à feu en a engendré une où les classes se trouvent cruellement opprimées, dans laquelle les puissants des classes supérieures pourraient tuer impunément les personnes des classes inférieures. Quand un gouvernement raciste, militariste et impérialiste a pris le pouvoir, il n'y a eu aucun moyen efficace de lui résister. Le Japon débarrassé des armes à feu s'est mué en l'exact opposé de cette utopie douce et égalitaire chantée par John Lennon dans "Imagine."

Au lieu d'imaginer un monde dépourvu d'une technologie spécifique, pourquoi ne pas en imaginer un dans lequel le coeur de l'homme évolue tranquillement et où les gens se comportent entre eux correctement ? C'est une des aspirations des principales religions. Bien que beaucoup de chemin reste à parcourir il ne fait aucun doute que des centaines de millions d'existences on été améliorées parce que des gens en sont venus à croire aux enseignements de ces religions.

Si un monde réellement pacifique est envisageable — ou, même si ce n'est pas le cas, qu'il vaille le coup de se battre pour y arriver — il n 'y a rien à gagner de la futile tentative d'élimination des armes à feu. Changer le coeur des hommes, l'un après l'autre, peut apporter des résultats bien plus tangibles.

 
 

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